Simone Dompeyre - "Au bout du rouleau"
Au bout du rouleau
Performance lors des 27èmes Rencontres Internationales Traverse, Toulouse, 2023
Texte de Simone Dompeyre
Au bout du rouleau
Ne pas faire —
Ou faire “ne pas”
L’antiphrase fut parfaite. Jamais dans son imperturbable et subtil humour, Yonsso Kang ne correspondit à la formule familière qualifiant une personne ne trouvant plus le ressort, l’élan pour poursuivre ce qu’elle entreprend et ce, quoi qu’elle entreprenne. Elle prit la liste des injonctions en forme négative sans craindre la contradiction de ses propos dans le plaisir évident du dire.
Le rouleau, long phylactère porteur des « choses à dire » aurait pu ne jamais s’arrêter à moins d’extinction de voix. Concrètement quoique le terme soit lourd pour ce petit objet, son papier - papier thermique - de 3 cm de diamètre avant déroulement, 8 cm de hauteur est saisissable, ainsi, sans difficulté alors qu’il se déploie au sol, le long de ses 1O mètres, sans encombre.
Il aurait pu mais l’option « minimum syndical » en haut de la liste, augure de la limite et devance une litanie de « Ne pas faire » qui inversement, en creux, précise la ligne artistique de Yonsoo Kang mine de sourires complices avec ses auditeurs auxquels elle lance des regards.
Elle commence par « Ne pas faire quelque chose avec ce rouleau
Ne pas faire de déroulement
Ne pas faire de surface blanche
Ne pas faire comme la dernière fois
Ne pas faire la même performance. »
et sa clausule « Ne pas faire de superflu ».
Et elle ne déroula pas le tapis de papier blanc autour duquel dérouler le rouleau, elle décida de le poser contre un pilier et le fit.
Ce processus annoncé et accompli atteint le mode de faire de l’art poétique.*
Elle dit ce qu’elle ne doit pas faire et par contraste, ce qu’elle doit faire. Cette obligation ne venant que d’elle-même. Ou presque, en effet, des échanges lors d’étapes de sélection, firent poser la demande de performance comme non re-présentation, comme non répétition du même, comme non récitation d’un texte a fortiori écrit par d’autres et même si écrit par la performeuse.
Et elle se joue de ce souhait : ceci est connaît une structure, connaît un modus operandi mais lié à l’impermanence. « Ne pas faire d'œuvre » est une des injonctions dont de nombreuses dénient ce que l’on attend d’un artiste au-delà de sa création, voire ce qu’on lui apprend pour se faire re-connaître. « Ne pas faire ta professionnelle ». Elle immisce, rouleau se défaisant, les relations affectives concernant l’amour, l’enfant à ne pas faire ou les activités de la quotidienneté : ménage, serpillière, tricot, gâteau ; les conseils diététiques ou de moindre utilisation du smartphone et les nombreux syntagmes formés sur le verbe faire, elle en joue. « Ne pas faire gaffe »/« Ne pas faire de gaffe » se suivent parmi d’autres jeux de fausses ressemblances. Elle évite ainsi l’autobiographie et l’exhibition de soi et expose le conditionnement social qu’elle reconnaît vivre aussi.
Yonsooo Kang aime la retenue même si elle laisse venir un « Ne pas te faire chier ». Et elle n’exclut pas les atteintes subies par les femmes ; des présupposés-insultes éculés et humiliants : « Ne pas faire ta maman »/«Ne pas faire ta pute » aux atteintes physiques le viol.
Cela dans le même phrasé, dans l’énonciation calme quel que soit le propos jusqu ‘au bout du rouleau littéralement sans l’atteindre métaphoriquement.
* L'art poétique, le premier signé par Horace, premier siècle av notre ère. exprime par et dans son poème, les règles d'écriture censées produire le beau. Lui "lime ses vers", les travaille longuement et conseille au poète de ne pas se mettre en peine sur le nombre de ses lecteurs. L'art poétique fut retenu comme titres d’œuvres décrivant la conception même de leur composition ; textes nombreux mais dont au moins deux font date celui de Boileau, rigoureux et didactique et celui de Verlaine qui préfère (le vers) impair (...) plus soluble dans l'air" et le syntagme désormais par métonymie peut s'accorder à médiums. Et pourquoi pas la performance.
L’artiste dit :
Entre de nombreuses injonctions et contradictions que je rencontre dans mon quotidien en tant qu’artiste, en tant que femme, en tant qu’une personne vivant dans le monde actuel, j’éprouve parfois un sentiment de dépassement, de perte d’avance, de ne plus savoir quoi et comment faire. En même temps les phrases commençant par “Il faut faire” se répètent, remplissent sans cesse notre vie. Parmi ces impératifs, beaucoup me semblent exister pour remplir des obligations créées et multipliées par la société actuelle, justifier d’avoir accompli des choses, les rendre visible aux yeux des autres, dissimuler nos manques profonds, ainsi “valider” la vie, se rassurer…
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